Monsieur Bruno Le Maire
Ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique
169, rue de Bercy
75012 Paris
Paris, le 26 avril 2023
Par lettre RAR
Lettre ouverte : Monsieur le Ministre, pour l’entreprise française Segault comme pour l’ensemble de nos activités stratégiques, vous avez le devoir juridique d’agir !
Monsieur le Ministre,
Avec les récentes ventes d’entreprises stratégiques françaises Exxelia et Trad à des entreprises américaines et après celles de tant d’autres (Alstom, Technip, Alcatel…), la souveraineté industrielle de la France s’effrite sans que les gouvernements successifs n’aient pris toutes les mesures qui s’imposaient pour l’empêcher.
Or, la société française Segault, qui fait partie des entreprises stratégiques de notre base industrielle et technologique de défense (BITD) en tant qu’elle fournit les robinetteries des chaufferies nucléaires des sous-marins nucléaires français, du porte-avions Charles-De-Gaulle et équipe nos bâtiments militaires à propulsion nucléaire, ainsi que nos centrales nucléaires, pourrait également passer sous le giron américain.
Alors qu’un potentiel repreneur français, Otium Capital, s’est positionné pour que la société Segault demeure française, la France a donc tous les moyens pour s’opposer à cette nouvelle hémorragie qui compromettrait nos intérêts nationaux.
Nous avons noté avec intérêt que le Gouvernement ainsi que le président de la République affichent leur ambition de lutter contre notre perte de souveraineté.
Cette affaire vous donne donc l’occasion de passer de la parole aux actes, sans lesquels l’opinion retiendra que la France se contente d’effets d’annonce, là où les autres États agissent.
Dès lors que le passage de Segault sous pavillon américain pourrait l’exposer aux lois extraterritoriales américaines EAR et Patriot Act, qui présentent un risque pour l’approvisionnement de notre force et de nos centrales nucléaires et permettent au gouvernement américain d’obtenir des informations confidentielles, c’est bien la garantie de notre souveraineté énergétique et industrielle de défense qui est en jeu dans ce projet de cession.
En conséquence, seule l’interdiction de cession de Segault à Flowserve, et à tout le moins de la branche d’activité stratégique de Segault, permettrait d’éviter que nos intérêts nationaux soient entre les mains des Américains.
Aussi, la seule façon d’éviter que Segault ne devienne une prise de guerre supplémentaire aux mains des Américains n’est-elle pas de contraindre Flowserve à revoir son investissement, en scindant Segault, ou a minima sa branche d’activités stratégiques, afin que celle-ci trouve un repreneur français ?
Or, si le Code monétaire et financier vous invite à interdire une cession qui compromettrait nos intérêts nationaux[1], il vous permet également d’imposer sa modification, et notamment la cession des activités sensibles[2].
Aussi, Monsieur le Ministre, nous vous exhortons à user de vos prérogatives de puissance publique dans ce projet de cession, afin de faire primer les hautes exigences de notre souveraineté sur les intérêts économiques de quelques-uns.
Enfin, il faut préciser que le maintien dans notre cadre national des activités stratégiques pour notre souveraineté est un devoir juridiquement sanctionnable de votre Gouvernement.
Car, Monsieur le Ministre, vous avez bien l’obligation juridique d’agir quand nos intérêts nationaux sont en risque, puisque c’est ainsi que la règlementation, depuis le décret de Dominique de Villepin en passant par celui d’Arnaud Montebourg, a été conçue : comme une injonction faite au ministre de l’Économie de protéger nos activités stratégiques.
En effet, si le Code prévoit que doivent être obligatoirement soumis à autorisation préalable du ministre chargé de l'économie certains investissements étrangers[3], il enjoint audit ministre de refuser cette autorisation si les intérêts nationaux ne peuvent être autrement préservés[4].
Aussi, Monsieur le Ministre, nous espérons que vous tiendrez compte de l’ensemble de ces considérations de fait et de droit, et que vous vous opposerait à ce projet de vente de l’activité stratégique de l’entreprise Segault à une entreprise américaine.
Nous vous prions de croire, Monsieur le Ministre, en l’assurance de notre très haute considération.
Maître Carine CHAIX
Présidente de la France en partage
Amiral Loïc FINAZ
Ancien Directeur de l’École de Guerre
Général (2S) MARC DELAUNAY
Président de l’Association des militaires entrepreneurs
Olivier MOUSSON
Président de La Société d’encouragement pour l’industrie nationale
CC : Copie adressée au Ministre de la Défense, aux Présidents des Commissions des Affaires économiques et des Commissions de la Défense nationale à l’Assemblée nationale et au Sénat.
[1] Article L 151- 3 du Code monétaire et financier (CMF).
[2] Article R151-8 et R 151-13 du CMF.
[3] Article L. 151-3 du CMF : Sont soumis à autorisation préalable du ministre chargé de l'économie les investissements étrangers
[4] Article R.151-10 du CMF : « Le ministre chargé de l'économie refuse, par décision motivée, l'autorisation d'investissement demandée, si la mise en œuvre des conditions prévues à l'article R. 151-8 ne suffit pas à elle seule à assurer la préservation des intérêts nationaux définis par l'article L. 151-3 ». Or, il est constant que les énoncés juridiques rédigés au présent de l’indicatif s’entendent comme ayant une valeur impérative, Cf. Par ex. Décision du Conseil Constitutionnel du 17 janvier 2008, 2077-561 DC.